
"N'ouvrez pas la porte !" La terreur des immigrés d'une ville ciblée par Trump

Depuis fin janvier, Maoro* n'est pas sorti de chez lui. Ce sans-papiers qui vit depuis 37 ans au Colorado reste reclus dans sa maison, par peur de croiser la police de l'immigration américaine.
"C'est pire qu'une prison", confie à l'AFP cet ouvrier du bâtiment d'Aurora, ville de l'Ouest américain au cœur des promesses d'expulsions massives de Donald Trump. "Je me sens déjà malade à force de ne pas aller travailler."
Incapable de payer son loyer, ce Mexicain n'a jamais eu aussi peur que depuis le retour au pouvoir du milliardaire républicain. Sa fille américaine fait désormais les courses pour lui.
Lorsque trois hommes en uniforme ont frappé chez lui récemment, le quinquagénaire a appliqué le conseil des nombreuses affiches placardées dans son quartier par les associations locales : "N'ouvrez pas la porte !"
Sa terreur est largement partagée dans cette banlieue cosmopolite de Denver, où cohabitent des dizaines de nationalités.
L'église et la mosquée se dépeuplent, le carrefour où les immigrants proposent d'effectuer des petits boulots à la journée est clairsemé, et le centre commercial rempli de restaurants latinos a reçu en février 10.000 visiteurs de moins que d'habitude.
La police de l'immigration (ICE) a organisé des descentes spectaculaires à Denver et Aurora, le 5 février. Des agents lourdement armés, parfois équipés de béliers et soutenus par des véhicules blindés, ont effectué des arrestations dans plusieurs immeubles.
- "Opération Aurora" -
Depuis qu'une vidéo montrant des latino-américains en armes forcer les appartements d'un immeuble a enflammé la toile l'été dernier, Donald Trump assure que le gang vénézuélien Tren de Aragua a "pris le contrôle" d'Aurora.
Peu importe les démentis du maire républicain - invoquant des incidents isolés -, la baisse de la criminalité depuis deux ans et la récente fermeture de l'immeuble en question.
Le tribun a érigé la ville en symbole d'une "Amérique occupée", lors d'un meeting en octobre, où il a donné le nom de code "opération Aurora" à son vaste plan d'expulsions massives aux Etats-Unis.
Face à cette instrumentalisation, les immigrés du coin ont l'impression de servir de boucs émissaires.
"Tout ce qui va mal aux Etats-Unis maintenant, c'est à cause de Tren de Aragua", ironise Alexander Jimenez, un Vénézuélien qui a fui le régime de Nicolas Maduro il y a un an. "Ce n'est pas possible."
Ce grand-père limite ses déplacements et se cache avec dix membres de sa famille, en attendant que leur demande d'asile soit examinée. Depuis les descentes, ses petits-enfants refusent d'aller à l'école, de peur que la police attende leurs parents à la sortie.
"Ils voient à la télévision ce qui se passe, qu'ils emmènent les Vénézuéliens et tous ceux qui ne sont pas d'ici, de ce pays", soupire-t-il, conscient que les opérations menées par ICE ne ramassent pas que des criminels.
Contactée par l'AFP, la police de l'immigration a refusé de communiquer le profil des migrants arrêtés lors des descentes du 5 février.
- Autodéfense -
Sur les réseaux sociaux, elle avait initialement expliqué viser "plus de 100 membres" de Tren de Aragua. Mais selon Fox News, chaîne proche de l'administration Trump, une trentaine de personnes ont été arrêtées, dont un seul membre de gang.
"Ce ciblage des criminels par ICE est utilisé comme prétexte pour arrêter d'autres personnes innocentes, qui n'ont pas de casier judiciaire", enrage Nayda Benitez, membre de la Colorado Immigrant Rights Coalition.
Son association multiplie les cours d'autodéfense juridique. En espagnol, en arabe ou en anglais, les immigrés y apprennent qu'ils n'ont pas à ouvrir leur porte si les forces de l'ordre n'ont pas de mandat judiciaire, qu'ils peuvent garder le silence, et qu'ils ne doivent signer aucun papier.
Des conseils qui ont ému Susana* aux larmes. Expulsée en 2017, au début du premier mandat de Donald Trump, cette Mexicaine sans histoire a passé cinq ans séparée de ses quatre enfants américains, avant de revenir au Colorado.
"Quand tu découvres que tu as des droits, c'est quelque chose de fort, parce que tu te dis: +si seulement j'avais su+", confie cette femme de ménage de 47 ans, qui regrette d'avoir trop parlé lors de ses interactions avec les autorités.
"Je savais qu'il y avait une Constitution", souffle-t-elle. "Mais je ne savais pas que cette Constitution me protégeait en tant que migrante."
*Prénoms modifiés
W.Baxter--TNT