Mexique: la réforme judiciaire controversée est adoptée, les manifestations continuent
Le Sénat mexicain a approuvé mercredi une réforme constitutionnelle controversée qui fait du pays le premier à désigner tous ses juges -dont ceux de la Cour suprême- par un vote populaire, malgré les mises en garde contre une atteinte à l'indépendance de la justice et des manifestations.
"Les juges, à d'honorables exceptions près (...), sont au service d'une minorité rapace qui s'est consacrée au pillage du pays", a-t-il souligné. Cependant, "de grands progrès seront réalisés lorsque le peuple élira librement les juges et les magistrats", a-t-il ajouté.
Le chef d’État, qui cédera le pouvoir le 1er octobre à Claudia Sheinbaum, issue du même parti, soutient que la justice mexicaine est corrompue et ne sert que les intérêts économiques des élites, alors que plus de 90% des crimes restent impunis dans le pays selon les ONG.
"Le régime de corruption et de privilèges appartient de plus en plus au passé", s'est également réjouie sur le réseau social X Claudia Sheinbaum, faisant allusion à la réforme, qui génère des tensions avec les Etats-Unis, premier partenaire commercial du Mexique, et l'inquiétude des investisseurs.
Des dizaines de manifestants étaient encore rassemblés mercredi devant le Sénat pour protester contre l'approbation de la loi, sans qu'aucun incident ne soit signalé. Une centaine de manifestants avait envahi le Sénat mardi lors de l'examen de la réforme explosive, forçant la délocalisation des débats mais sans permettre son rejet.
"Le pouvoir judiciaire ne va pas tomber", scandaient cependant les protestataires, principalement des fonctionnaires judiciaires en grève et des étudiants en droit. "Je n'abandonnerai pas (mon poste), jusqu'à la fin, peu importe les conséquences", a déclaré Mario Dominguez, juge de district de l'État de Jalisco (ouest).
La réforme constitutionnelle a été adoptée dans la nuit de mardi à mercredi par 86 voix pour, soit les deux tiers des 127 sénateurs présents à la Chambre haute, dominée par le parti au pouvoir Morena et ses alliés, et 41 voix contre des partis d'opposition.
Elle doit maintenant être approuvée par les Parlements d'au moins 17 États, ce qui ne devrait pas être un obstacle pour le parti au pouvoir qui en contrôle 24. Une fois adoptée, elle sera ensuite promulguée par la présidence mexicaine.
Les procédures législatives ont débuté dans plusieurs États ce mercredi. Les élections, qui devraient permettre d'élire 1.600 juges se tiendront en juin 2025 puis en 2027.
- "Démolition du pouvoir judiciaire" -
Le projet de loi avait déjà été adopté la semaine dernière par les députés dans un gymnase, sous des paniers de basketball, après le blocage de la Chambre basse par des manifestants.
Les opposants à la réforme estiment qu'elle fragilisera l'indépendance des juges et les rendra vulnérables aux pressions du crime organisé.
"La démolition du système judiciaire n'est pas la voie à suivre", avait averti la présidente de la Cour suprême Norma Piña. M. Lopez Obrador l'a mise en garde contre un éventuel blocage qui serait une "violation flagrante" de la Constitution.
La réforme génère de fortes tensions avec Washington, premier partenaire commercial du pays.
Les États-Unis voient un "risque" pour la démocratie mexicaine et "une menace" pour les relations commerciales bilatérales, alors que le Mexique a supplanté la Chine en tant que premier partenaire commercial de son voisin du Nord.
Selon des experts, les inquiétudes des investisseurs sur cette réforme ont contribué à une forte baisse du peso, qui a atteint la semaine dernière son niveau le plus bas en deux ans par rapport au dollar.
Cela place le Mexique "dans une position unique", a dit à l'AFP Margaret Satterthwaite, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l'indépendance des juges et des avocats.
"En l'absence de garanties solides contre l'infiltration du crime organisé (dans le processus de sélection des juges), un système électoral peut devenir vulnérable à des forces aussi puissantes", a-t-elle averti, appelant à reconsidérer la réforme.
Le cas qui se rapproche le plus du Mexique est celui de la Bolivie, où les juges de la Haute cour sont élus par vote populaire. Toutefois, un conseil du pouvoir judiciaire nomme les juges ordinaires.
Dans ce pays d'Amérique du Sud, l'indépendance des juges élus a été remise en cause par le conflit entre le président Luis Arce et son mentor, l'ancien président socialiste Evo Morales (2006-2019), les juges étant accusés d'être politisés de par leur élection.
N.Johns--TNT