The National Times - Dans les magasins d'Afghanistan, des mannequins sans visage

Dans les magasins d'Afghanistan, des mannequins sans visage


Dans les magasins d'Afghanistan, des mannequins sans visage
Dans les magasins d'Afghanistan, des mannequins sans visage / Photo: © AFP

Dans les vitrines des magasins de vêtements de Kaboul, une vision saisissante: les visages des mannequins en robe de mariée richement brodée ont le visage recouvert d'un sac plastique noir ou barré d'une large bande adhésive.

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L'interprétation rigoriste par les talibans -- au pouvoir depuis trois ans -- de la loi islamique qui proscrit la reproduction de figures humaines ne concerne pas que les femmes.

Dans les boutiques d'un centre commercial du quartier central de Shahr e-Naw, les mannequins d'hommes ont le visage recouvert de feuilles aluminium et ceux d'enfants la tête enfoncée dans un sac plastique.

Dès qu'ils ont reconquis Kaboul le 15 août 2021, les talibans ont envoyé un message glaçant en recouvrant de peinture les visages sur les vitrines des salons de beauté, des barbiers ou les panneaux publicitaires.

Mais l'oukase concernant les mannequins date de l'an dernier, selon les commerçants kaboulis interrogés par l'AFP et qui ont tous requis l'anonymat.

"C'est le ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice qui a demandé" aux magasins de couvrir les visages des mannequins, explique l'un d'eux. "L'environnement doit être islamique".

Dans sa boutique, ses mannequins ont une improbable chevelure brune, une énorme choucroute qui retombe sur le visage jusqu'à la bouche.

"Ca rend les vitrines assez moches", concède le commerçant de 22 ans, mais cela "n'affecte pas les ventes".

Plus loin, quelques femmes portant une abaya et un masque sur la bouche, comme le demandent les talibans, font tranquillement leurs courses.

- "Décapitation au cutter" -

Les mannequins sans visage portent des robes de mariée brodées de sequins ou de motifs floraux élaborés. Curieusement, les épaules et les bras sont dénudés, les décolletés généreux.

"Plus tard, il se peut qu'ils ordonnent que les bras soient couverts de plastique", prédit le vendeur.

Autre centre commercial de Kaboul, autre magasin de vêtements: les deux propriétaires expliquent que les brigades du "Vice et de la Vertu", passent "trois fois par jour" pour vérifier que les visages des mannequins sont bien occultés.

Dans le quartier de Kart e-Naw, racontent-ils, les hommes de cette police des moeurs ont "décapité au cutter" des mannequins.

C'est à Hérat, dans l'Ouest, que le mouvement de décapitation de mannequins -- à la scie -- a commencé en janvier 2022. Aujourd'hui, l'interdit sur les visages est en vigueur dans tout l'Emirat islamique d'Afghanistan.

La résignation a apparemment fait place à l'indignation. Les clients ne sont pas choqués car "il y a des questions plus graves", explique l'un des deux propriétaires, évoquant la situation économique ou les femmes privées d'éducation.

- Inspections fréquentes -

A Kaboul, Popalzai (prénom d'emprunt) minimise lui aussi l'impact de ces visages masqués dans sa vaste boutique de jeans, polos et costumes.

"Ceci n'est pas très important pour les Afghans", dit le commerçant de 32 ans. "On s'en accommode".

"Notre magasin a pris feu, Kaboul a été détruite, on a vécu les pires journées imaginables", explique-t-il, en référence aux guerres passées jusqu'au retour d'une sécurité relative avec les talibans.

A l'entrée de son magasin, des mannequins d'hommes en costume occidental sont tous cagoulés. L'un d'eux est affublé de lunettes de soleil.

Plus loin, une enfilade de mannequins, costume trois pièces et élégante pochette de poitrine, ont le visage recouvert de feuilles aluminium.

Quant aux mannequins d'enfants, l'un à la tête cachée dans une cagoule de Superman, l'autre dans un sac en plastique doré et un troisième n'a pas de tête du tout.

"Dans certains endroits, les descentes du 'Vice et de la Vertu' ont toujours lieu les mêmes jours, alors les vendeurs recouvrent puis découvrent les visages des mannequins", plaisante le commerçant.

"Mais ici, ce sont entre trois et six types qui viennent deux ou trois fois par semaine", dit-il à propos des hommes repérables à leurs blouses blanches.

"Ils regardent sans s'approcher, ils sont moins durs qu'avant", assure cet homme qui a connu le premier règne des talibans, de 1996 à 2001.

Lewis--TNT