La Cisjordanie sous la menace israélienne d'une asphyxie bancaire
Des adolescents palestiniens sautent sur des trampolines et passent à travers des cerceaux dans une grande tente aux abords de Ramallah, le hub financier de la Cisjordanie occupée.
Mais les étudiants du cirque ne sont pas les seuls à se plier en quatre: le directeur de l'Ecole palestinienne du cirque a dû surmonter une série d'obstacles financiers pour acheter la tente en France et les trampolines en Chine.
"Nous avons du mal avec les paiements internationaux", explique Mohamad Rabah, le directeur exécutif de l'école, décrivant un processus bureaucratique ardu pour acheter du matériel qui, selon lui, pourrait prendre jusqu'à un mois.
Depuis le début de la guerre à Gaza déclenchée par une attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre, la situation financière de l'Autorité palestinienne, qui exerce des pouvoirs limités sur une partie de la Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967, ne cesse de se détériorer.
Et ce en raison des restrictions imposées par les autorités israéliennes sur les transferts des recettes fiscales collectées par elles et devant revenir à l'Autorité palestinienne en vertu d’accords signés dans le cadre du processus de paix israélo-palestinien entamé dans la décennie 1990, et aujourd'hui moribond.
La situation peut s'envenimer en juillet, après que le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich (extrême droite), a menacé en mai de couper un canal bancaire vital entre Israël et la Cisjordanie en réponse à la reconnaissance par trois pays européens de l'Etat de Palestine.
M. Smotrich a informé le Premier ministre Benjamin Netanyahu qu'il "n'avait pas l'intention de prolonger" la garantie de l'Etat bénéficiant aux "banques correspondantes".
Cette protection annuelle, qui expire le 30 juin, est indispensable pour permettre à deux institutions financières israéliennes, la banque Hapoalim et l'Israel Discount Bank, de continuer à jouer leur rôle de correspondantes avec les banques implantées en Cisjordanie.
- "Crise humanitaire" -
La menace brandie par le ministre israélien a suscité de fortes inquiétudes à Washington, principal allié d'Israël.
"Couper les banques palestiniennes de leurs homologues israéliennes créerait une crise humanitaire", a dit la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen.
"Ces canaux bancaires sont essentiels pour effectuer des transactions permettant près de 8 milliards de dollars d'importations en provenance d'Israël, y compris l'électricité, l'eau, le carburant et l'alimentaire, et facilitent près de 2 milliards d'exportations par an dont dépendent les moyens de subsistance des Palestiniens", a-t-elle souligné.
Une rupture des canaux bancaires "aura un impact important sur nous, du fait que notre économie dépend de l'économie israélienne et qu'Israël contrôle les frontières", souligne à l'AFP Feras Milhem, gouverneur de l'Autorité monétaire palestinienne.
Les moyens de subsistance des Palestiniens ont également été affectés par des interdictions d'entrée en Israël pour les travailleurs, ainsi que par une forte baisse du tourisme en Cisjordanie.
Les pays occidentaux craignent que la politique économique d'Israël ne crée le chaos en Cisjordanie.
"Le système bancaire pourrait s'effondrer (...) L'Autorité palestinienne est en crise financière et pourrait s'effondrer avant août", prévient une source diplomatique européenne à Jérusalem sous couvert d'anonymat.
- "Guerre économique" -
Des hommes d'affaires palestiniens déplorent des résultats financiers en forte baisse depuis le début de la guerre à Gaza.
Imad Rabah, propriétaire d'une entreprise de plastique, affirme que son bénéfice net a fondu de 50% en un an.
Nakhleh Joubrane, producteur d'arak, évoque une chute de ses ventes de 30% sur la même période. "Nous avons une guerre traditionnelle à Gaza et nous avons une guerre économique en Cisjordanie."
La politique israélienne vise à pousser les Palestiniens à quitter la Cisjordanie, estime Moussa Shamieh, propriétaire d'une entreprise de vêtements pour femmes.
"Ils (Israël) veulent que nous quittions notre terre et ils savent que ce sera difficile pour nous de rester si nous ne pouvons pas faire des affaires", dit-il.
"Nous devons travailler à un plan B en ce qui concerne les relations commerciales", préconise M. Milhem.
F.Lim--TNT