En Mongolie, une journaliste en procès devient le baromètre de la liberté de la presse
C'est l'une des journalistes les plus connues de Mongolie: Naran Unurtsetseg, à l'origine de plusieurs affaires retentissantes, est jugée pour diffamation, un procès symbole selon ses défenseurs du recul de la liberté de la presse.
La reporter est également accusée de diffusion de fausses informations et d'obtention de secrets d'Etat.
Naran Unurtsetseg a révélé dans le passé plusieurs scandales: agressions sexuelles dans un internat bouddhiste, violence dans l'armée ou articles à charge contre certaines des personnes les plus puissantes du pays d'Asie de l'Est.
Interdite d'exercer, assignée à résidence pendant presque 200 jours, elle est pour l'instant libre, en attente du jugement qui doit être prononcé début juillet.
"J'avais l'habitude de penser que les personnes innocentes n'avaient rien à craindre", déclare-t-elle à l'AFP depuis son domicile à Oulan-Bator, la capitale du pays de 3,4 millions d'habitants.
"Mais j'ai subi des audiences à sens unique depuis ma mise en examen", déplore-t-elle. "Ils ne veulent pas voir les faits qui prouvent mon innocence et mes intentions."
La Mongolie, gouvernée par un système démocratique, a longtemps joui d'une grande liberté d'expression, en comparaison notamment à ses voisins la Chine et la Russie.
Le paysage médiatique reste extrêmement riche, avec des dizaines d'organes de presse qui représentent toutes les nuances de l'échiquier politique.
Mais selon ses détracteurs, le gouvernement essaie depuis quelques années de faire taire les critiques, notamment sur son bilan de matière de corruption.
- Vidéos en direct -
Conséquence selon l'organisation Reporters sans frontières (RSF): la liberté de la presse a reculé en Mongolie, qui pointe désormais au 109e rang mondial sur 180 - son plus bas niveau depuis des décennies.
De récents amendements apportés aux lois anti-diffamation et anti-fausses informations donnent aux autorités des pouvoirs plus étendus pour potentiellement sanctionner des journalistes, selon les critiques.
En outre, après une récente réforme de la loi sur les secrets d'Etat, les personnes qui publient des documents officiels qui ont fuité risquent jusqu'à huit ans d'emprisonnement.
"C'est le ou les fonctionnaires censés garder ces documents secrets qui devraient être tenus responsables de leur révélation", estime Galbaatar Lkhagvasuren, avocat au Globe International Center, une organisation basée à Oulan-Bator qui promeut la liberté de la presse.
"Les personnes ordinaires qui ont obtenu un tel fichier, intentionnellement ou non, ne devraient pas être reconnues coupables", déclare-t-il.
Sollicité par l'AFP, un porte-parole du gouvernement mongol n'a pas répondu aux demandes de commentaires sur la chute de la Mongolie dans le classement RSF sur la liberté de la presse.
Rédactrice en chef du site internet Zarig, Naran Unurtsetseg s'est rendue célèbre avec ses vidéos en direct, parfois controversées, où elle interpelle régulièrement avec véhémence ses interlocuteurs.
Des méthodes qui lui valent nombre d'inimitiés dans les hautes sphères du pouvoir. Mais aussi de nombreux fans, dans un pays où la corruption reste enracinée et suscite un fort rejet populaire.
- "Bâillonnés" -
Naran Unurtsetseg était l'une des premières journalistes mongoles à utiliser ces diffusions en direct sur Facebook - où beaucoup de Mongols s'informent.
Dans l'une de ces publications, on la voit interpeller des hommes politiques auxquels elle reproche de n'avoir pas remboursé des prêts.
Dans une autre, elle dénonce le bizutage brutal au sein de l'armée, après la mort de deux hommes durant leur service militaire.
En décembre, la police est venue l'interpeller dans les bureaux de Zarig, après qu'elle eut critiqué les autorités judiciaires sur Facebook.
Au total, Naran Unurtsetseg est visée par neuf chefs d'accusation.
Elle est accusée de diffusion de fausses informations et de diffamation par le pouvoir judiciaire, d'évasion fiscale par le service des impôts et d'obtention de secrets d'Etat par l'agence de renseignement.
"Les gens m'ont dit de m'excuser pour éviter la prison. Mais je ne veux pas", déclare-t-elle. "Je n'ai rien fait de mal."
En mai, une autre journaliste, Bayarmaa Ayurzana, a été arrêtée après avoir dénoncé les malversations supposées du vice-Premier ministre, candidat aux élections législatives de fin juin.
Depuis l'arrestation de Naran Unurtsetseg, "il y a chez nous les journalistes une certaine hésitation à couvrir certaines choses, par peur", déclare à l'AFP Oyunchimeg Shashiimaa, rédactrice en chef du site d'information News.mn.
"On s'efforce d'informer les gens, mais on craint d'être bâillonnés en essayant de le faire."
A.Davey--TNT