La Thaïlande, un pays émergent au défi d'un vieillissement galopant
A 73 ans, Noi se contente souvent d'une simple tartine en guise de déjeuner lorsqu'elle n'a pas la force de faire la queue à la soupe populaire sous le soleil de plomb de Bangkok.
Cette veuve thaïlandaise ne peut guère s'offrir autre chose ni même acheter de quoi cuisiner chez elle avec pour seule ressource la pension de base versée par l'Etat, l'équivalent de 20 euros par mois.
"S'il fait trop humide pour venir, je mange juste du pain de mie de l'épicerie du coin, avec du ketchup", déclare-t-elle à l'AFP dans les locaux d'une association qui aide des personnes âgées démunies.
Le royaume a été classé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) parmi les pays qui vieillissent le plus rapidement au monde, avec le Japon ou l'Allemagne, qui ont des économies développées, ce qui n'est pas le cas de la Thaïlande.
En 2029, plus de 20% des Thaïlandais auront plus de 65 ans, selon une étude de la banque Kasikorn.
"Nous sommes devenus vieux avant d'être riches", déclare Burin Adulwattana, économiste en chef de la Kasikorn Bank.
"Nous ne sommes pas prêts" à affronter un tel boom, explique-t-il.
Beaucoup de seniors, dont un tiers vit déjà en dessous du seuil de pauvreté, tomberont dans une extrême pauvreté, privés d'épargne et de revenus, et pour certains sans aide de leurs familles, trop pauvres elles-mêmes.
- "Bombe à retardement" -
Pour l'Etat, "c'est une véritable bombe à retardement", déclare Kirida Bhaopichitr, de l'Institut thaïlandais de recherche sur le développement, car les dépenses de santé vont exploser et le nombre de contribuables va chuter fortement.
Le pays est mal préparé. Le nouveau gouvernement a promis d'éradiquer la pauvreté d'ici 2027 mais a rejeté les appels en faveur d'une forte hausse des pensions, déclarant que le royaume ne pouvait pas se le permettre.
"J'aimerais que le gouvernement m'aide davantage, car le coût de la vie monte en flèche", a appelé Chusri Kaewkhio, 73 ans, dans le bidonville de Khlong Toei, à Bangkok.
Son mari Suchart, âgé de 75 ans, regarde depuis son lit la peinture écaillée et une fuite dans le plafond, qu'ils n'ont pas les moyens de réparer.
Le couple emprunte de l'argent chaque mois et a cinq mois de retard dans le paiement des factures d'électricité.
- Vivre chez ses enfants -
En Thaïlande, selon la tradition, les enfants adultes prennent en charge leurs parents lorsqu'ils vieillissent.
Cette situation n'est pas viable à long terme, estime M. Burin, car l'économie est confrontée à une diminution de la main-d'œuvre et à un ralentissement de la croissance et des dépenses de consommation.
Alors que les hommes travaillent jusqu'à 65 ans environ, les femmes thaïlandaises commencent à quitter le marché du travail vers l'âge de 50 ans pour s'occuper de leurs parents et beaux-parents vieillissants.
Il faut augmenter le nombre de centres de soins de jour pour personnes âgées à un prix abordable, estime M. Kirida.
Orn Keawwilat, 57 ans, est confrontée à un difficile exercice de jonglage: elle s'occupe de ses parents âgés malades tout en gérant une petite épicerie pour subvenir aux besoins de son foyer de 12 personnes.
Son père Arj, 88 ans, alité, a récemment fait une chute en essayant d'aller aux toilettes et a perdu l'usage de la parole en raison d'une maladie du motoneurone.
"Il doit être nourri à la main et surveillé en permanence, car il s'étouffe parfois", explique Mme Orn à l'AFP.
- Mal préparé -
L'évolution démographique de la Thaïlande nécessite des investissements et des changements physiques et culturels majeurs.
A Bangkok, les centres d'activités pour personnes âgées et les cliniques de santé se multiplient.
Mais pour beaucoup, la retraite dans la dignité n'est qu'une chimère.
Pour faire face au défi, le gouvernement envisage de repousser l'âge légal aujourd'hui fixé entre 55 et 60 ans.
Et il pourrait être forcé de trouver d'autres ressources, en augmentant la TVA ou en créant une taxe sur la richesse et le patrimoine, estime Burin Adulwattana.
Ancienne enseignante pendant 30 ans, Aew, 70 ans, ne s'est jamais mariée, a perdu sa maison pendant la pandémie et dort maintenant sur un banc dans une gare.
"La pension n'est pas suffisante. Je fabrique aussi des fleurs en plastique pour les vendre dans la rue... Mais je voudrais un vrai travail", dit-elle.
A.Little--TNT