The National Times - Mexique : saveurs et souvenirs pour ne pas oublier les disparus

Mexique : saveurs et souvenirs pour ne pas oublier les disparus


Mexique : saveurs et souvenirs pour ne pas oublier les disparus
Mexique : saveurs et souvenirs pour ne pas oublier les disparus / Photo: © AFP

Lorsque Yadira Martinez prépare le plat préféré de son fils, c'est comme s'il était encore là. Alors, elle a partagé la recette dans un livre de cuisine rédigé avec d'autres femmes à la mémoire de proches portés disparus dans l'un des Etats les plus violents du Mexique.

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"Quand je prépare ses œufs, je sens qu'il est ici, qu'il va rentrer et s'asseoir pour manger avec nous", explique cette femme de 44 ans dans sa maison d'Irapuato, dans le Guanajuato, un Etat du centre de ce pays qui connaît un taux d'homicide de 28 pour 100.000 habitants, selon les chiffres officiels.

Quelque 3.700 personnes y sont portées disparues, sur les plus de 112.000 disparitions enregistrées au Mexique, la majeure partie depuis 2006 et le début d'une guerre déclenchée par le gouvernement contre le trafic de drogue qui a vu la violence exploser et notamment les extorsions et les recrutements forcés.

L'argent provenant de la vente du livre permet à une quarantaine de femmes de procéder aux inlassables recherches pour tenter de retrouver leurs proches.

Un oignon, des tomates, du piment… Yadira Martinez prépare les "œufs à la mexicaine aux haricots frits" que son fils Jaime aimait tant, jusqu’à sa disparition en 2018 à l’âge de 22 ans.

"Pozole pour Gregorio", "Piment farci pour Antonio", "Lasagnes pour Raymundo"... : l'ouvrage recense 71 recettes, accompagnées d'une note sur chaque disparu et le combat des familles pour le retrouver.

Karla Jiménez a partagé la recette d'enchiladas, ces tortillas fourrées de viande, légumes et épices typiques du Mexique, que son frère Juan Valentin disparu en 2020, aimait tant. "Il était plombier et avait 37 ans", précise le livre.

- Parler de "ce qu'ils aiment" -

"Il s’agit de parler des disparus autrement, pas seulement des recherches ou de la mort mais aussi de ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, quelles musiques ils écoutent", dit Zahara Gomez Lucini, la photographe à l'origine du projet.

La moitié du bénéfice des ventes est reversée aux collectifs de recherche de disparus. Depuis octobre 2022, quelque 2.000 exemplaires ont été imprimés.

Yadira Martinez se démène au sein du collectif "Hasta encontrarte" ("Jusqu'à te retrouver") qu'elle a créé en 2021 avec d'autres femmes pour tenter de retrouver la trace de proches disparus.

Avec une dizaine de femmes de ce groupe, qui dit avoir retrouvé jusqu'à présent 180 corps, elle a récemment ratissé un bout de terre à Penjamo, au sud de la ville de Guanajauto, après avoir reçu des indications anonymes.

"S'il y a une odeur de putréfaction, c'est peut-être qu'il y a une fosse clandestine", raconte Carla Vasquez, 20 ans, à la recherche depuis cinq ans de son frère.

Deux équipes motorisées de la police municipale, lourdement armées, assurent la sécurité des femmes. En mai 2023, une mère à la recherche de son fils a été assassinée dans le même Etat.

Au moins cinq groupes criminels se disputent le contrôle du Guanajuato, un territoire-clé pour le transit de la drogue vers les Etats-Unis.

Malgré la violence, la région reste une destination touristique majeure et un centre industriel abritant des usines étrangères.

Outre les nombreux disparus, plus de 420.000 personnes ont été assassinées au Mexique depuis 2006.

C.Blake--TNT