La filière "thé" trace son sillon en Bretagne et en France
Les allées de Camellias sinensis descendent en pente douce vers la vallée encaissée du Blavet, à Languidic (Morbihan): à bas bruit, à l'image de ce "jardin de thé" précurseur, la filière "thé" commence à tracer son sillon en Bretagne et en France.
Car le Camellia sinensis, de la même famille que le camélia à fleurs, est le nom latin du théier, rappelle Denis Mazerolle, fondateur, avec son épouse d'origine chinoise Weizi, d'une des toutes premières plantations de thé en France hexagonale, "Filleule des fées".
Comme pour le camélia des jardins, très présent dans la région, "la Bretagne a tout pour cette culture", souligne Céline Le Cras, cheffe de culture à Languidic, "une terre acide, de l'humidité et un sol bien drainé, en semi-ombre". En revanche, le théier n'aime pas le vent. D'où l'installation dans cette vallée abritée.
Passionné de thé depuis 40 ans, le couple de fondateurs a arpenté l'Asie pour découvrir les régions "où on cultive et fabrique le thé de manière artisanale" avec l'objectif de s'en inspirer pour produire un "thé bio de haute qualité".
Tous deux ont eu une longue vie professionnelle loin du Blavet avant de concrétiser leur projet. "Nos premiers théiers, venus de Géorgie, ont été plantés ici en 2005 pour voir ce que ça donnait. Le projet est venu plus tard, en 2016. Et on commercialise notre thé depuis trois ans", explique le théiculteur qui transforme sur place.
Parallèlement, d'autres initiatives apparaissent. Ainsi, dans le Morbihan, un lycée horticole a été le premier en France à proposer en 2020 une initiation à la production de thé à ses élèves.
"L'idée, c'est de montrer aux jeunes une production autre, de leur créer une ouverture", explique Marine Chotard, enseignante au lycée Saint-Jean-Brévelay-Hennebont.
Le lycée a importé dix mille pieds de Chine en 2021 et noué un partenariat avec un établissement horticole chinois.
"Il y a un intérêt, y compris du grand public, pour du thé produit en France (...) Les entreprises de cosmétique manifestent aussi leur intérêt, notamment en raison des propriétés antioxydantes" du théier, relève Marine Chotard. "On est vraiment à l'émergence d'une filière", considère-t-elle.
Sauf que le théier est une plante qui demande de la patience: "il faut six ou sept ans pour que le théier arrive à maturité", indique Denis Mazerolle, intarissable sur cette plante "très résiliente".
- Du temps et de l'argent -
"C'est passionnant, mais c'est long et les investissements sont lourds", alerte Christèle Burel, chargée de mission en agriculture biologique à la Chambre d'agriculture de Bretagne. Quand on choisit une variété, "on saura dans sept ans si c'était la bonne, pas dans six mois comme un maraîcher!"
Pour un hectare de théiers, "il faut compter entre 45.000 et 70.000 euros, (...) plus cher qu'un hectare (de plants) de vignes", évalue Alain Schlesser, jeune retraité et agronome de formation, qui se lance prudemment dans cette culture à Cast (Finistère) après avoir ramené ses premiers théiers de Chine en 2003. "Jusqu'à présent, pendant des années, je me suis amusé à faire mes petites décoctions", ironise-t-il.
Mme Burel accompagne une dizaine de "néo-théiculteurs", souvent des personnes qui "produisent déjà autre chose, comme des plantes aromatiques, et cherchent à se diversifier". "Dès qu'il y a de la nouveauté, ça attire, et ceux qui s'en sortent le mieux sont les premiers", dit-elle.
"Je les encourage à produire en bio (...), plutôt sur du premium". En tant que Chambre, "on veut consolider" le modèle avant de pousser à son développement.
Une "vingtaine de projets" sont en développement en France, notamment au Pays Basque, estime Denis Mazerolle.
Une association française et une européenne ont été créées afin de faciliter la structuration de la filière mais aussi sa reconnaissance par les institutions. Outre le partage de connaissances, l'un des objectifs est d'obtenir une labellisation, type Appellation d'Origine Protégée (AOP).
En fait, la théiculture aurait pu débuter deux siècles plus tôt en Bretagne: tombées dans l'oubli, les premières plantations à Nantes et Trévarez (Finistère) datent du milieu du XVIIIe siècle.
M.A.Walters--TNT