Charbon contre forêt : mobilisation villageoise en Turquie
En fichus noués sous le menton, face aux lances à incendies, les villageoises s'avancent en première ligne pour protéger leur forêt menacée par l'extension d'une mine de charbon, dans le sud-ouest de la Turquie.
"Ils abattent nos arbres, arrachent nos oliviers, ils creusent la terre et saccagent tout pour les centrales thermiques, pour l'or et le charbon. Ils ruinent le pays, c'est fini", accuse Ayse Coban, 54 ans, du village d'Ikizkoy.
"Nous sommes ruinés, ça me fait monter les larmes aux yeux".
Dans la forêt d'Akbelen, en majorité des pins, au-dessus de la station balnéaire de Bodrum, les tronçonneuses sont entrées en action la semaine dernière, protégées par les gendarmes et des véhicules blindés.
Au même moment, plusieurs départs de feu étaient signalés dans le pays et la Grèce voisine bataillait contre de monstrueux incendies.
Venus en renfort des villageois, de centaines de militants écologistes ont accouru pour livrer ce qui est devenu depuis 2021 un combat national contre la déforestation et l'usage immodéré du charbon en Turquie.
Le charbon fournit au pays un tiers de ses besoins en énergie primaire (selon l'Agence internationale de l'énergie, en 2021) et un tiers de son électricité.
En 2020, le ministère des Forêts a accordé à la société YK Energy, propriété de la puissante holding turque Limak, l'extension de sa mine de charbon dans la région d'Akbelen. Depuis, les recours se multiplient et la population ne désarme pas.
- Terre dénudée -
Pour Deniz Gumusel, ingénieure environnementaliste et militante écologiste, "on parle de trois centrales thermiques, à la technologie ancienne et sale", accuse-t-elle.
Une vue aérienne de la région, prise par un drone de l'AFP, montre une vaste étendue pelée de terre dénudée, au milieu des montagnes encore vertes et boisées.
"Ca fait quatre ans qu'une dizaine de villageoises ont réussi à empêcher la holding Limak, l'un des groupes les plus puissants au monde, d'entrer dans la forêt", relève l'ingénieure. "Ces femmes, qu'on dit sans éducation, ignorantes des réalités du monde, protègent et se battent pour le climat: Akbelen envoie un merveilleux message au reste du pays et à la planète".
Selon l'avocat qui défend la population, les travaux ont été suspendus le temps de la campagne électorale qui a vu la réélection, le 28 mai, du président Recep Tayyip Erdogan.
"La troisième et dernière expertise a été conduite en août 2022. Nous avons déposé un recours devant le tribunal mais il a ignoré notre objection et la suspension de l'abattage a été levée en novembre" dernier, détaille Ismail Hakki Atal, qui parle des experts comme de "tueurs à gage" employés par la compagnie.
Mais, aussitôt après les élections, poursuit-il, "nous avons entendu des rumeurs disant, maintenant que nous avons gagné les élections, nous pouvons commencer à couper la forêt".
- Promesse de réhabilitation -
Les détracteurs du projet soulignent les liens étroits, selon eux, qui unissent le patron de la holding Limak, propriétaire de 50% des parts de la société YK Energy, au chef de l'Etat.
Dans un communiqué lundi, les autorités provinciales de Mugla ont annoncé la fin des "travaux initiés par la Direction Générale des Forêts le 24 juillet".
A bout d'argument, dimanche, les villageois et les défenseurs de l'environnement se sont adressés au FC Barcelone, qui a confié à Limak la rénovation de son célèbre stade, le Camp Nou.
"Nous, villageois âgés de 7 à 95 ans, essayons de faire stopper le massacre et sommes exposés aux gaz et aux coups", écrivent-ils selon une copie de la lettre obtenue par l'AFP.
"Le Camp Nou portera la honte d'une rénovation assurée par une entreprise qui viole les droits humains, enfreint l'objectif de l'Accord de Paris et tous les documents pertinents des Nations Unies" en matière de lutte pour le climat, écrivent-ils, en appelant le club catalan à "dénoncer le contrat si Limak ne renonce pas au massacre de la forêt d'Akbelen".
B.Cooper--TNT