The National Times - Au Festival d'Avignon, les marginaux investissent la Cour d'honneur

Au Festival d'Avignon, les marginaux investissent la Cour d'honneur


Au Festival d'Avignon, les marginaux investissent la Cour d'honneur
Au Festival d'Avignon, les marginaux investissent la Cour d'honneur / Photo: © AFP

SDF, alcooliques ou mères célibataires avaient pris la parole dans "Welfare", un documentaire du réalisateur américain Frederick Wiseman en 1973. Un demi-siècle plus tard, une adaptation scénique leur redonne vie au Festival d'Avignon.

Taille du texte:

Le spectacle d'ouverture à la Cour d'honneur du Palais des papes, lieu emblématique du festival, se glisse dans l'actualité de cette année, marquée par une forte mobilisation contre la réforme des retraites et plus récemment des émeutes sur fond de fractures sociales.

La metteuse en scène de "Welfare", Julie Deliquet, est aussi directrice d'un théâtre situé sur un territoire traversé par les problématiques sociales: le Théâtre Gérard Philipe-Centre dramatique de Saint-Denis.

- Se raconter pour survivre -

"Mettre des marginaux à la Cour d'honneur, des gens qui ont presque tout perdu sauf les mots pour les sauver, c'est le théâtre de la vraie vie", commente la metteuse en scène, rencontrée par l'AFP avant les violences urbaines.

C'est Frederick Wiseman lui-même, qui a tourné des documentaires sur la Comédie-Française, le Ballet de l'Opéra de Paris et le cabaret Crazy Horse, qui l'a approchée il y a trois ans, après avoir vu son travail. Elle avait notamment adapté "Un Conte de Noël" d'Arnaud Desplechin et "Fanny et Alexandre" d'Ingmar Bergman.

"Il a toujours trouvé qu'il y avait du théâtre dans ses films, particulièrement dans +Welfare+" où l'action se passe dans un centre d'aide sociale à New York dans les années 70, rapporte Julie Deliquet.

"Welfare", qui sort parallèlement en salles en France pour la première fois mercredi, est une sorte de concentré de toutes les misères de monde. On y voit pendant trois heures des personnes au regard hagard, parfois à la rage contenue, qui viennent expliquer leur situation devant des travailleurs sociaux tantôt impassibles, tantôt interloqués face à tant de désespoir.

"Mais on n'est pas dans le misérabilisme ou la morale", nuance Julie Deliquet. "Ce n'est pas manichéen, c'est plus une comédie humaine, une espèce d'agora grecque à l'intérieur d'un centre social".

"Ces gens retrouvent une place dans la société par le fait de mettre des mots sur leur condition et sur les droits qu'ils viennent demander. En face, les travailleurs sociaux les écoutent et les orientent, c'est extrêmement théâtral", précise l'artiste.

Au moment où elle a été approchée par le réalisateur en 2020, Julie Deliquet venait de réaliser elle-même un court-métrage: elle filme à l'Opéra de Paris une soprano dans le rôle principal de "La Traviata" de Verdi (Violetta, atteinte de tuberculose) et, dans les services d'oncologie de l'hôpital Gustave-Roussy de Villejuif, une actrice dans le rôle d'une personne malade atteinte d'un cancer.

"J'ai retrouvé la même puissance dans ces services d'oncologie, où on est là pour sauver des vies, que chez les travailleurs sociaux" filmés par Wiseman, dit-elle.

Elle s'est nourrie de cette expérience mais aussi de la période de la pandémie où elle a vu en action les travailleurs sociaux à Saint-Denis, à l'époque "le territoire le plus impacté de France".

Elle y a observé des équipes "en manque de personnel et de reconnaissance" venir en aide aux plus démunis, comme dans le documentaire. "C'est un peu les fatigués face aux épuisés".

C'est à Saint-Denis aussi qu'elle dit avoir retrouvé le sens de la mission du théâtre public, avec un travail quotidien de lien entre le théâtre et l'école, l'hôpital, la prison, les jeunes.

"Etre dans le maillage, ce n'est pas une équation simple, mais il y a un travail dans les territoires qui est trop souvent invisibilisé", commente-t-elle.

P.Johnston--TNT