"Désengorger les urgences" en 18 mois, le périlleux pari de Macron
En promettant lundi soir de "désengorger tous les services d'urgence" d'ici fin 2024, Emmanuel Macron a fixé un objectif a priori inatteignable, alors que la pénurie de soignants empêche déjà le système de santé de répondre à la demande croissante.
Des brancards dans les couloirs et des salles d'attente bondées. Jour et nuit, hiver comme été. La crise est profonde, le symptôme est devenu insupportable. "D'ici la fin de l'année prochaine, nous devrons avoir désengorgé tous nos services d'urgence", a ordonné le président de la République.
Plus facile à dire qu'à faire. Car l'hôpital ne souffre pas d'une congestion bénigne: 20,4 millions de passages aux urgences en 2021, contre un peu plus de 10 millions en 1996. Hausse inexorable seulement stoppée par le Covid. A moins d'un remède miracle, le record d'avant-crise (22 millions) sera bientôt battu.
Le chef de l'Etat n'a pas précisé comment inverser la tendance, mais "il faut des résultats concrets à court terme".
Les premiers intéressés ont du mal à y croire. "L'objectif est inatteignable", juge Marc Noizet, président du syndicat Samu-Urgences de France.
A défaut de pouvoir "injecter des soignants" pour augmenter rapidement le nombre de lits d'hospitalisation, il faudra "des changements profonds" d'organisation qui seront "compliqués à mener", explique-t-il.
"Avec la méthode actuelle, c'est un voeu pieux", réagit Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de la Société française de médecine d'urgence.
En revanche, "en écoutant les urgentistes c'est encore possible", ajoute-t-elle, à condition "d'appliquer les solutions" déjà proposées en 2019 dans le "pacte de refondation des urgences".
Ce plan annoncé à l'époque après des mois de grève, n'avait pourtant pas suffi à apaiser la colère de soignants ulcérés par leurs conditions de travail. Pas plus que l'augmentation générale du "Ségur de la santé" - 10 milliards d'euros par an - octroyée en pleine pandémie.
- "Aller encore plus loin" -
Soigner les urgences nécessitera de ressortir le chéquier. "C'est jouable", mais "il va falloir des mesures concrètes et tout de suite", prévient Jean-François Cibien, président du syndicat Action Praticiens Hôpital.
"Beaucoup a déjà été fait ces derniers mois", souligne l'entourage de François Braun, rappelant que les mesures mises en place dès son arrivée à l'été 2022 (accès aux urgences filtré par le Samu, majoration des heures de nuit) "ont permis à nos hôpitaux de tenir" jusqu'à maintenant.
Néanmoins, "il nous faut aller encore plus loin", reconnaît le ministère de la Santé, qui vient justement d'ouvrir une série de concertations avec les médecins hospitaliers, censées aboutir avant l'été sur des sujets cruciaux comme les salaires, les carrières et "la permanence des soins" - les soirs et weekends.
Le gouvernement mise aussi sur les "services d'accès aux soins", associant Samu et médecins libéraux, testés depuis deux ans dans une vingtaine de départements, et qui doivent être généralisés d'ici la fin de l'année.
Mais dans le même temps, l'exécutif a choisi de plafonner les prix de l'intérim médical, entraînant des fermetures - totales ou partielles - de petits services d'urgences comme à Feurs (Loire), Vittel (Vosges), Pontivy (Morbihan) ou Manosque (Alpes-de-Haute-Provence).
Et la situation des hôpitaux est en "nette dégradation" avec un déficit global "aux alentours d'un milliard d'euros en 2022", selon le dernier avis du comité d'alerte sur les dépenses de santé.
Il faudra donc "des actes forts pour redonner toute son attractivité à l'hôpital public", estime le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Arnaud Robinet, saluant "le volontarisme affiché" par le chef de l'Etat tout en plaidant pour "une meilleure solidarité" avec les cliniques privées et les médecins libéraux.
Ces derniers ont cependant d'autres préoccupations, à commencer par le "règlement arbitral" qui doit fixer leurs nouveaux tarifs, après l'échec des négociations avec l'Assurance maladie. Leurs syndicats sont conviés lundi à une "réunion d'information" sur ce sujet, a indiqué l'UFML, réclamant "un choc d'attractivité et financier".
A.M.Murray--TNT