Diagnostic des cancers: la France ne veut pas rater le coche de l'IA
La France entend bien prendre une longueur d'avance dans la course à l'intelligence artificielle au service du diagnostic des cancers. L'outil pourrait à l'avenir permettre aux médecins de mieux adapter les traitements à un stade plus précoce de la maladie.
Parmi les spécialités médicales peu ou pas connues: l'anatomopathologie. Les "anapath" jouent pourtant un rôle clé en analysant les organes, les tissus ou les cellules, pour repérer et analyser des anomalies liées à une maladie. Leur mission est notamment capitale pour déterminer le diagnostic de cancer et les traitements à envisager.
Ces médecins pourraient bientôt compter sur le précieux renfort de l'intelligence artificielle (IA).
Si la majeure partie des pathologistes continuent à utiliser exclusivement le microscope pour étudier les lames de verre issues des biopsies, l'usage du numérique progresse.
Or, une fois numérisées, ces données constituent une matière première interprétable via les algorithmes et modèles mathématiques de l'IA.
"Les lames contiennent énormément d'informations sur les cellules, qui ne sont pas toutes déchiffrables par l'oeil humain", explique Fabrice André, directeur de la recherche de l'institut Gustave-Roussy, centre anti-cancer au sud de Paris.
"En lisant une image, un médecin ne peut pas prédire si une cellule va être plus ou moins sensible à un traitement, si un risque de mutation existe... Alors que l'IA, oui", poursuit-il.
Il y a quatre ans, une étude menée par Gustave-Roussy et Owkin, start-up franco-américaine spécialisée dans l'intelligence artificielle appliquée au médicament, a montré que l'IA pouvait désigner, parmi des patientes atteintes d'un cancer du sein localisé, les femmes les plus à risque de rechute métastatique sous cinq ans.
Fort de ces résultats, le centre anti-cancer et la start-up devenue licorne grâce au soutien du géant pharmaceutique Sanofi, lancent vendredi un consortium ("PortrAIt"), qui vise à faire de la France "un leader mondial" dans l’utilisation de l’IA pour diagnostiquer et traiter les cancers.
- "Jamais remplacés" -
Le consortium, qui comprend le centre anti-cancer Léon Bérard (à Lyon), la fédération des centres anti-cancer Unicancer, la société française d'imagerie numérique Tribun Health et le groupe privé de pathologie numérique Cypath, entend déployer 15 nouveaux outils d'IA d'ici cinq ans. Il est doté d'une enveloppe de 33 millions et est soutenu par l'Etat via la Banque publique d'investissement (BPI).
Les acteurs du projet espèrent que ces outils seront une aide au diagnostic des cancers mais pourront aussi prédire les risques de rechute, ce qui permettra d'adapter les traitements.
"Nous avons déjà développé deux produits pour le cancer du sein et le cancer colorectal mais avec ce consortium, l'idée est de passer à l'échelle supérieure", explique à l'AFP Meriem Sefta, cheffe du diagnostic chez Owkin.
Du côté des médecins partenaires, cette révolution en cours n'est pas ressentie comme une concurrence mais bien une complémentarité. "On aura toujours besoin d'un +anapath+ pour signer le compte-rendu final d'un diagnostic et décider d'un protocole avec l'oncologue, on ne sera jamais remplacés par une machine", assure Philippe Chalabreysse, le directeur général de Cypath.
En tout état de cause, une poignée d'acteurs sont prêts à partir à l'assaut du marché mondial, alors que les preuves d'efficacité commencent à se multiplier.
En décembre dernier, l'Institut Curie a publié dans une revue de Nature les résultats d'une étude montrant comment l'IA de la start-up israélienne Ibex Medical avait permis de détecter plusieurs catégories de cancers du sein et de déterminer le degré de gravité des tumeurs.
Il reste toutefois à effectuer de nombreuses recherches pour prouver que l'usage de l'IA mérite d'être généralisé comme outil de détection des cancers. Par exemple, est-il efficace chez les personnes de tout âge ? Echappe-t-il au risque de surdiagnostic ?
"Il faudra s'assurer que les tests profitent bien à tous, pour réduire les inégalités de soin, et que ce modèle soit viable économiquement", prévient aussi Philippe Chalabreysse.
S.Collins--TNT