Retraites: la censure du gouvernement peu probable, la colère ne retombe pas
L'Assemblée nationale va examiner lundi à partir de 16H00 deux motions de censure contre le gouvernement d'Élisabeth Borne qui ont peu de chances d'être votées, ouvrant la voie à l'adoption définitive de la réforme des retraites malgré la colère dans le pays qui ne faiblit pas.
Le déclenchement jeudi de l'arme constitutionnelle du 49.3 par la Première ministre pour faire passer sans vote la réforme présentée comme "nécessaire" n'a fait qu'attiser la contestation, qui dépasse souvent le sujet du recul de l'âge de la retraite de 62 à 64 ans.
Dans une manifestation à Lille dimanche, David Duthoit, agriculteur de 54 ans, disait son "écœurement", avec "le 49.3, les parlementaires qui ne répercutent pas la parole du peuple".
Lundi matin, plusieurs manifestations ont provoqué d'importantes perturbations du trafic à Rennes. Des arrêts de travail de surveillants étaient également redoutés dans les lycées, pour la première journée des épreuves de spécialité du bac 2023.
En attendant une nouvelle journée d'actions le 23 mars à l'appel de l'ensemble des syndicats, la grève s'est durcie dans les raffineries et les éboueurs poursuivent leur mouvement à Paris, Rennes ou Nantes.
Éboueur parisien et responsable syndical CGT de 53 ans, dont 21 de métier, Karim Kerkoudi se dit "déterminé": "chaque jour, je me lève à 4h45 pour aller porter, à deux, entre 6 et 16 tonnes d'ordures. J'ai des tendinites aux deux coudes. La douleur aux lombaires, on n'en parle même plus. On est marqué au corps par le travail".
Face à cette colère, Emmanuel Macron a demandé dimanche que la réforme "puisse aller au bout de son cheminement démocratique dans le respect de tous".
- Majorité absolue difficile à atteindre -
Deux motions de censure seront présentées aux députés: une transpartisane du groupe indépendant Liot et une autre du RN. Cosignée par des députés de la Nupes, la motion Liot (Libertés, Indépendants Outre-mer et Territoires) a davantage de chances d'être votée par des élus de droite défavorables à la réforme des retraites. Mais la barre de la majorité absolue de 287 voix sera difficile à atteindre.
Il faudrait qu'une trentaine de LR, soit la moitié du groupe, la votent. Or le parti de droite a soutenu la réforme et ne veut pas "rajouter du chaos au chaos" en faisant tomber le gouvernement.
Une poignée de députés LR pourraient néanmoins rejoindre la censure. Farouchement opposé à la réforme, Aurélien Pradié a annoncé lundi qu'il voterait le texte Liot pour provoquer "un électrochoc" au gouvernement. Selon lui, "une quinzaine" de députés de son groupe le suivront.
Réclamant "un peu de courage" aux députés de droite, Marine Le Pen leur a promis qu'ils n'auraient pas de candidat du RN face à eux en cas de législatives à la suite d'une dissolution.
- "Ils ne peuvent plus gouverner" -
La suite des événements reste incertaine tant la crise est profonde.
La majorité tente de resserrer les rangs face aux critiques de dénis social et démocratique. Alors que les députés n'auront finalement jamais voté l'ensemble du texte, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, s'est inquiété que la chute du gouvernement crée "de l'instabilité" en plus du "rejet du texte de la réforme".
La cheffe du gouvernement prévoit de réunir ses ministres lors d'un déjeuner à Matignon mardi pour montrer qu'ils la "soutiennent", selon des sources concordantes.
Pour le député Renaissance Marc Ferracci, proche d'Emmanuel Macron, "la question de la dissolution ne se pose pas à brève échéance: on peut réussir à gouverner". Il a souhaité néanmoins que "le brouillard se dissipe" avec LR pour la suite du travail parlementaire.
"Ils ne peuvent plus gouverner", assure cependant le député Liot Charles de Courson, estimant que le président devait "changer" ou "renvoyer au peuple", par le biais d'une dissolution.
Le rejet probable des motions vaudra adoption définitive de la réforme, avant sa promulgation par le chef de l'État, qui pourrait s'exprimer dans les prochains jours.
La gauche n'a pas dit son dernier mot: un référendum d'initiative partagée est dans les tuyaux, et des recours au Conseil constitutionnel se préparent.
"Nous sommes passés du sentiment d'être méprisés à un sentiment de colère", a estimé Laurent Berger (CFDT). "On a privé les salariés du résultat de leur mobilisation", à savoir, selon lui, le rejet du texte à l'Assemblée nationale s'il était passé au vote.
"Que vous reste-t-il dans une démocratie quand les outils de la démocratie ne permettent pas d'être entendus ?", a interrogé la présidente du groupe LFI Mathilde Panot lors d'un rassemblement à l'appel des syndicats de retraités. Pour elle, la motion de censure est "une manière de sortir par une voie démocratique du blocage".
Deux tiers des Français (68%) assurent ressentir de la colère devant l'utilisation du 49.3 par le gouvernement, selon un sondage Elabe pour BFMTV publié lundi. Autant espèrent que le gouvernement tombe lundi.
A.Parker--TNT