L'Espagne avance sur les droits des transgenres, quand d'autres pays hésitent
Après des mois de discussions parfois houleuses, les députés espagnols doivent adopter définitivement jeudi une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans, à l'heure où d'autres pays européens hésitent ou font marche arrière sur ce sujet controversé.
Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, ce projet de loi dit "transgenre" a été adopté par une large majorité de députés en première lecture le 22 décembre. Le Sénat l'ayant voté la semaine dernière avec quelques modifications, les députés doivent de nouveau se prononcer.
Il permettra aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d'identité via une simple déclaration administrative dès l'âge de 16 ans.
Il ne sera alors plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d'une dysphorie de genre et des preuves d'un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c'est le cas aujourd'hui pour les personnes majeures.
Le texte étendra également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu'ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu'aux 12-14 ans s'ils obtiennent le feu vert de la justice.
L'Espagne rejoindra ainsi les quelques pays au monde autorisant l'autodétermination du genre, à l'image du Danemark, premier pays à avoir accordé ce droit aux personnes transgenres en 2014.
- "Prudence" -
Le débat sur la dysphorie de genre, c'est-à-dire la détresse causée par une inadéquation entre le sexe biologique et le genre auquel s'identifie une personne, a pris de l'ampleur dans de nombreux pays ces dernières années avec l'accroissement des demandes de transition, notamment chez les mineurs.
Mais le vote en Espagne survient au moment où plusieurs pays, jusque-là en pointe sur le sujet, s'interrogent, quand ils ne font pas marche arrière.
En Suède, les autorités ont ainsi décidé voilà un an de mettre fin à l'hormonothérapie pour les mineurs, sauf dans de très rares cas, invoquant la nécessité de faire preuve de "prudence" dans un domaine rempli d'inconnues.
En Finlande, une décision similaire a été prise dès 2020, tandis qu'en France, l'Académie de médecine a appelé à "une grande prudence médicale" dans le traitement des jeunes patients et à "la plus grande réserve" sur les traitements hormonaux.
Enfin, le Royaume-Uni a bloqué le mois dernier une loi écossaise sur les droits des transgenres similaire à celle de l'Espagne, adoptée fin décembre par le parlement d'Edimbourg au terme de vifs débats.
Cet épisode a fragilisé la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon, qui a annoncé mercredi sa démission, après une vive controverse née de l'incarcération dans une prison pour femmes d'une femme transgenre condamnée pour avoir violé deux femmes avant sa transition.
- "Précipité" -
En Espagne, le projet de loi "trans" a suscité de profondes divisions au sein même de la gauche et du mouvement féministe, alors que le pays se prépare à des élections générales en fin d'année.
Le texte est ardemment défendu par la ministre de l'Egalité Irène Montero, membre de Podemos, qui s'est dite prête à "laisser (sa) peau" pour le faire adopter. "Les personnes trans et la communauté LGTBI ne peuvent plus attendre", a-t-elle insisté.
Un message relayé par la plus grande organisation LGBT d'Espagne, FELGBTI+. Cette loi "encouragera d'autres pays à suivre notre exemple", a déclaré sa présidente Uge Sangil.
Mais d'autres voix, dissonantes, se font entendre. "Revendiquer le genre comme étant au-dessus du sexe biologique (...) me semble être un recul", a ainsi dénoncé l'ex-numéro deux du gouvernement Sánchez, Carmen Calvo.
"Ouvrir cette porte" de la transition de genre "sans aucune restriction aux enfants me paraît précipité" et "très dangereux", a commenté Rim Alsalem, rapporteure spéciale de l'ONU sur la violence contre les femmes, dans une interview au quotidien madrilène El Mundo.
Lors de la session de jeudi, les députés adopteront également une loi portant sur les droits des femmes, qui prévoit notamment la création d'un "congé menstruel" pour les femmes souffrant de règles douloureuses, une première en Europe.
Le texte renforcera aussi l'accès à l'avortement dans les hôpitaux publics, où les objections de conscience des médecins sont nombreuses, et autorisera les avortements sans consentement parental dès l'âge de 16 ans.
T.Cunningham--TNT