
"Pink", nouveau visage de l'évolution humaine en Europe

Le plus ancien visage connu dans l'Ouest de l'Europe est désormais celui d'un fossile vieux d'au moins 1,1 million d'années, surnommé "Pink", découvert dans un gouffre espagnol et présenté mercredi dans la revue Nature.
Cette étude "introduit un nouvel acteur dans l'histoire de l'évolution humaine en Europe", a dit sa première autrice, Rosa Huguet, de l'Université espagnole de Tarragona, dans un point de presse.
Jusqu'ici le plus ancien représentant de l'espèce humaine dans l'Ouest de l'Europe, daté entre 800.000 et 900.000 ans, était Homo antecessor, découvert dans la Sierra espagnole de l'Atapuerca.
L'endroit situé au nord de l'Espagne abrite au moins dix sites archéologiques exceptionnels. Et c'est à moins de 250 mètres d'Homo antecessor qu'une équipe espagnole a découvert ATE7-1.
À savoir la partie du maxillaire supérieur et de l'os zygomatique gauches d'un individu adulte. Agrémenté des restes de racine d'une molaire.
Un trésor en considérant qu'on ne disposait jusque-là pour les premiers arrivants en Europe de l'Ouest que de la seule molaire de lait d'un individu, et des phalange et fragment de mâchoire inférieure d'un autre.
- Surnom "Pink" -
ATE7-1, affublé du surnom "Pink" (rose) par ses découvreurs, gisait dans une couche géologique profonde du Sima del Elefante, le gouffre de l'éléphant. Fouillée à plus de seize mètres, cette masse de limons et de boues rouges permet de le dater entre 1,1 et 1,4 million d'années.
Jusqu'à sa découverte, il fallait se déplacer loin vers l'Est de l'Europe, dans l'actuelle Géorgie, et remonter à 1,8 million d'années, pour trouver Homo georgicus, l'Homme de Dmanissi.
Le premier représentant européen du genre Homo en dehors d'Afrique, réputée être le berceau de l'humanité. Bien avant l'apparition d'Homo sapiens, l'Homme moderne, il y a environ 300.000 ans.
Une reconstruction faciale à l'aide d'outils d'imagerie en 3D révèle le visage remarquable de "Pink".
Là où Homo antecessor a "un visage très moderne, similaire à celui de notre espèce Homo sapiens, qui est vertical et plat", celui d'ATE7-1 est "plus projeté en avant, et plus robuste", a expliqué María Martinón-Torres, directrice du Centre national espagnol d'évolution humaine.
Pour autant, il ne partage pas toutes les caractéristiques d'une autre lignée célèbre et plus ancienne issue du continent africain, Homo erectus.
D'où le choix de ses découvreurs de le baptiser Homo "affinis" erectus ("affinis" suggérant des traits communs avec erectus, ndlr), explique María Martinón-Torres. Dans le doute, c'"est la proposition la plus honnête que nous puissions faire", dit-elle.
Impossible à ce stade de déterminer le sexe, et encore moins l'âge de "Pink". En revanche, avec trois petits outils de pierre, des os d'animaux visiblement marqués de striures, et de nombreux indices paléobotaniques, l'équipe a une bonne idée de l'environnement dans lequel il évoluait.
Un paysage de forêt humide, avec une végétation de type méditerranéen, riche en volatiles, rongeurs et macaques, chevaux et bovidés, et même quelques bisons et hippopotames. Évoluant sous un climat plus tempéré qu'aujourd'hui.
- Une place dans l'histoire -
Atapuerca "était probablement un corridor naturel de faune avec des ressources en eau, un endroit donc idéal pour l'établissement d'hominines", selon Rosa Huguet.
La découverte de "Pink" soutient selon l'équipe espagnole l'hypothèse d'un peuplement du continent européen de l'Est vers l'Ouest par les premiers hominines il y a au moins 1,4 million d'années.
Tout indique qu'ils venaient "de quelque part dans l'Est de l'Europe", selon María Martinón-Torres. Et occupent désormais "une place dans l'histoire de l'évolution humaine" entre l'Homme de Dmanissi et Homo antecessor.
La question étant de savoir si "Pink" a survécu au "goulet d'étranglement" démographique, qui aurait vu chuter les populations il y a environ 900.000 ans, à la faveur de sévères épisodes glaciaires.
Le paléoanthropologue espagnol José Maria Bermúdez de Castro juge "personnellement" peu probable que cette lignée ait survécu pour côtoyer ensuite celle d'Homo antecessor: "Je pense qu'Homo affinis erectus a disparu".
Autant d'hypothèses qui nourriront les recherches à venir. L'équipe n'étant pas arrivée au fond du gouffre de l'éléphant. Ni de ceux qui l'entourent.
J.Sharp--TNT