Entre l'Iran et les narcos mexicains, Cannes a le coeur qui balance
Le jury du Festival de Cannes a l'embarras du choix pour la Palme d'or samedi, au terme d'une 77e édition marquée par la venue d'un cinéaste qui a fui l'Iran, l'émergence d'une jeune garde féminine et le retour en demi teinte de géants d'Hollywood.
La présidente Greta Gerwig, figure du cinéma d'auteur américain devenu reine du box-office avec "Barbie", se retire à l'abri du fracas de la Croisette, pour délibérer avec ses jurés, dont les acteurs Omar Sy, Eva Green, Lily Gladstone et Pierfrancesco Favino, ou le réalisateur Hirokazu Kore-Eda.
Présenté vendredi, "Les graines du figuier sauvage", de l'Iranien Mohammad Rasoulof, est l'un des favoris pour succéder à "Anatomie d'une chute" de Justine Triet.
Tourné clandestinement, mais impeccablement réalisé, le film suit pendant 02H45 un enquêteur qui vient d'être promu magistrat, et des femmes de trois générations: son épouse, la fille cadette, une jeune étudiante, et la benjamine, adolescente. Il fait écho au soulèvement de la population iranienne depuis fin 2022.
Le cinéaste a quitté l'Iran au péril de sa vie avant de présenter en personne son film à Cannes.
Lui décerner une Palme d'or offrirait une caisse de résonance précieuse au combat des femmes iraniennes, et à celui qui a brûlé tous ses vaisseaux en Iran, ne se laissant plus d'autre choix que la prison ou l'exil.
Mais les jeux sont loin d'être faits, tant d'autres films ont fait chavirer les festivaliers. Dont "Emilia Perez", une comédie musicale de Jacques Audiard, un genre qui parle à la présidente du jury.
- Rajeunissement ? -
L'audace de ce projet, tourné en espagnol, sur un baron de la drogue mexicain qui change de vie et devient une femme, tourné avec deux énormes stars, Selena Gomez et Zoe Saldaña, a bluffé.
Audiard décrochera-t-il une deuxième Palme après "Dheepan" (2015), ou le jury préfèrera-t-il marquer l'histoire en saluant la prestation de l'actrice transgenre Karla Sofía Gascón, 52 ans, devenue femme il y a huit ans, et qui tient le rôle principal ?
"Une Palme, c'est déjà très bien". Mais remettre un prix à l'actrice transgenre, révélation du film, "ce serait fort, ce serait intelligent !", a souri le cinéaste, lors d'une rencontre avec l'AFP.
Cannes pourrait poursuivre le mouvement de rajeunissement et de féminisation des plus grands prix du cinéma engagé depuis 2020 avec les Palmes d'or à Julia Ducournau ("Titane") et Justine Triet, le Lion d'Or à Audrey Diwan ("L'Evènement") ou l'Ours d'or à Carla Simon ("Nos soleils").
Seules quatre réalisatrices sur 22 cinéastes étaient en compétition, mais deux sont des candidates sérieuses au titre: l'Indienne Payal Kapadia ("All we imagine as light"), avec un film sensible sur deux infirmières dans le bouillon urbain de Bombay, et la Française Coralie Fargeat, qui a décoiffé la compétition avec un film gore au message féministe ("The Substance"), remettant en selle Demi Moore.
- Testament -
"Anora" de Sean Baker, thriller new-yorkais qui passe des bas-fonds aux villas de luxe des oligarques russes et pourrait présager d'un renouveau du cinéma indépendant américain, et "Grand Tour", film conceptuel du Portugais Miguel Gomes, sont aussi cités.
Les légendes d'Hollywood n'ont pas séduit, comme Paul Schrader et son "Oh, Canada!" crépusculaire avec Richard Gere. "Megalopolis", le projet pharaonique et testamentaire de Francis Ford Coppola, a profondément déçu.
Une troisième Palme d'or serait donc une surprise. Mais après tout, Coppola a obtenu sa deuxième en 1979 pour "Apocalypse Now", descendu en flèche par la critique.
Côté prix d'interprétation, outre l'actrice du film de Jacques Audiard, la prestation de Sebastian Stan, connu pour son rôle dans "Captain America", en Donald Trump dans le biopic "The Apprentice" a été remarquée.
Une Palme d'or d'honneur sera décernée au créateur de "Star Wars", George Lucas.
La cérémonie d'ouverture avait atteint un record d'audience, avec 2,3 millions de spectateurs, selon France TV. La clôture a été avancée d'une heure, à partir de 19H00. De quoi permettre aux cinéphiles amateurs de ballon rond d'enchaîner avec la finale de la Coupe de France, PSG-Lyon.
O.Nicholson--TNT