Main tendue ou bras de fer: au Mexique, les deux candidates face au défi de la criminalité
S'attaquer aux racines sociales de la violence ou relancer la guerre totale contre les cartels: c'est le choc des stratégies entre les deux favorites à l'élection présidentielle au Mexique face à l'insécurité qui ternit l'image du pays.
En tête dans les sondages, la candidate de la gauche au pouvoir Claudia Sheinbaum propose de poursuivre l'oeuvre du président sortant Andres Manuel Lopez Obrador: s'attaquer aux causes sociales (pauvreté, marginalisation) du crime organisé.
Le bilan est mitigé. Avec plus de 166.000 homicides en cinq ans, l'actuel mandat est plus violent que les deux précédents, a relevé le 29 janvier le journaliste vedette Jorge Ramos lors de la conférence de presse quotidienne du président.
Le nombre d'homicides a baissé de 20% entre 2018 et 2023 (à 29.675), lui a rétorqué M. Lopez Obrador, affirmant qu'il ne dévierait pas de sa stratégie résumée par la formule "des accolades, pas des fusillades". "Nous soutenons que la paix est le fruit de la justice".
Le Mexique présente en 2023 un taux de 23 homicides pour 100.000 habitants, d'après Insight Crime, bien supérieur à la moyenne de l'Amérique latine.
Les cartels (Jalisco, Sinaloa...) se livrent dans certains Etats à des actes de violence extrême.
Mme Sheinbaum a elle-même récemment rejeté "l'évaluation pessimiste" de l'église catholique sur la situation sécuritaire du pays.
Ex-maire de Mexico, elle se targue d'avoir réduit le nombre d'homicides à moins de deux par jour pendant son mandat à la tête de la capitale (2018-2023).
Elle se félicitait fin 2023 sur X d'avoir mis en place "une stratégie totale qui s'attaque aux causes, avec plus et mieux de police, du renseignement, des enquêtes et de la coordination".
- "Un Mexique sans peur" -
Expert en sécurité et en crime organisé pour le centre d'analyse Casede, Raul Benitez reconnaît que Mme Sheinbaum a obtenu des résultats à Mexico.
Si elle est élue, elle doit en faire de même à l'échelle d'un pays de 129 millions d'habitants et deux millions de km2, avec trois niveaux de forces sécuritaires (fédérales, dans les 32 Etats, locales) et "une chaîne judiciaire brisée", d'après Carlos Rodriguez Ulloa, consultant en sécurité et en renseignement.
Les deux experts estiment que M. Lopez Obrador a échoué: "Ce n'est pas en s'attaquant à la pauvreté que l'on combat la délinquance, c'est en s'attaquant aux délinquants, avec une stratégie correcte", affirme M. Benitez.
La candidate de centre-droit Xochitl Galvez fait campagne sous le slogan "un Mexique sans peur". Pour elle, "c'est est fini des accolades avec les délinquants!"
Les deux prétendantes sont d'accord sur la nécessité de renforcer les polices et les institutions judiciaires, ainsi que la coordination entre les autorités.
Il s'agit également de renforcer la Garde nationale, créée par M. Lopez Obrador pour remplacer l'ex-police fédérale.
Mais la différence apparaît dans leurs priorités. Mme Sheinbaum veut de nouveaux programmes sociaux pour les jeunes.
Mme Galvez veut s'en prendre aux criminels les plus recherchés. La candidate de l'opposition veut également édifier une prison pour les délinquants les plus dangereux et lancer l'armée contre les grandes mafias.
A Tijuana, ville-frontière avec les Etats-Unis, le taux d'homicides frôle les 100 pour 100.000 habitants.
Enedina Galvez, une des milliers de transfrontalières, pose la question de la dépénalisation des drogues, un angle mort de la campagne.
"Si les actes délictueux sont liés à l'usage des drogues, on devrait en régulariser la consommation", affirme cette bi-nationale de 34 ans.
La dépénalisation serait "une véritable révolution copernicienne", estime le politologue Gaspard Estrada.
Le problème de la sécurité au Mexique est aussi lié "à la fragmentation des forces policières, entre les polices municipales, des Etats, et fédérales", poursuit le spécialiste de l'Amérique latine à Sciences po Paris.
L'insécurité est le dossier "le plus urgent" pour 41% de Mexicains, d'après un sondage du Financiero. Selon Carlos Rodriguez, les Mexicains sont "saturés et résignés" face à la violence.
Mme Sheinbaum est en tête des intentions de vote avec 51%, loin devant Mme Galvez (34%).
Le 2 juin, presque 100 millions d'électeurs sont appelés aux urnes également pour renouveler le Parlement et le Sénat, avec aussi des élections locales dans plusieurs des 32 Etats dont neuf postes de gouverneur en jeu.
La violence n'épargne pas la campagne: 15 candidats à des mandats locaux ont été assassinés depuis octobre, d'après le gouvernement (23 selon les consultants d'Integralia).
W.Phillips--TNT