Neuf ans après les attentats, Charlie Hebdo "fait encore peur"
Près d'une décennie après l'attentat qui a frappé la rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, Riss, dessinateur et aujourd'hui directeur de publication du journal satirique présent lors de l'attaque, revient sur les enjeux de la liberté d'expression.
C'est entouré d'un dispositif de sécurité qui ne le quitte plus, que Riss s'est rendu jeudi au lycée Pierre-de-Fermat à Toulouse. Une table ronde y était notamment organisée en mémoire de Bernard Maris, l'un des 12 membres de l'équipe tués dans l'attentat, qui a été en classe dans cet établissement, puis y a enseigné l'économie.
De son vrai nom Laurent Sourisseau, Riss a estimé, lors d'un entretien avec l'AFP, que la vision de Charlie Hebdo rend "les gens un peu frileux", mais qu'il faut parfois "bousculer" la liberté d'expression pour qu'elle vive, et ce grâce au dessin, "langage international" compris de tous.
Question: Neuf ans après l'attentat contre Charlie Hebdo, où en est la liberté d'expression?
Réponse: On fait des commémorations, on célèbre les morts. Mais est-ce que les gens n'ont pas toujours un peu peur de ce que raconte Charlie Hebdo? Les idées et la vision du journal ne sont-elles pas (...) aussi subversives qu'il y a neuf ans?
Les gens sont plutôt compatissants avec ce qu'on a vécu, mais la vision de Charlie Hebdo parfois (les) rend un peu frileux. Depuis neuf ans on le voit bien: quand on essaie de faire des actions, on voit qu'(ils) ont un peu peur. Certains événements dans des établissements scolaires par exemple, les gens annulent.
Q: Comment sensibiliser les jeunes générations à l'importance de cette liberté?
R: J'ai été étonné par les questionnements des lycéens que j'ai rencontrés (...) comment Charlie Hebdo fait pour s'exprimer? Certains demandent quelles sont les limites. Cela les préoccupe (...) ils ont peur du moment où on va franchir la ligne rouge.
Je réponds qu'il (...) faut oser aller au-delà de votre zone de confort. La liberté d'expression, pour qu'elle vive, il faut parfois la bousculer un peu. On essaye de sensibiliser les jeunes.
Quand on les rencontre, ils essaient de comprendre. C'est un journal que beaucoup ont découvert en 2015, dont ils ne connaissent pas l'histoire. Il faut presque faire de la pédagogie pour expliquer ce qu'est Charlie Hebdo.
C'est aussi un enjeu pour nous, que la compréhension de Charlie Hebdo ne s'arrête pas à la génération contemporaine du 7 janvier. Que les générations d'après soient sensibles à ces questions là.
Q: En 2022, dans un article intitulé "Ukraine: l'humour, arme de destruction massive", Charlie Hebdo a mis en avant les caricaturistes de ce pays. Quelle portée peut avoir le dessin?
R: C'est un langage international. Le dessin est visuel. Même si vous ne parlez pas très bien la langue, vous comprenez ce qu'a voulu dire le dessinateur. L'humour est universel. Je ne partage pas l'idée qu'il y ait des gens qui ne seraient pas capables de le comprendre. Quand on montre des dessins il y a toujours un moment où les gens se marrent. Ils comprennent.
Là aussi, on fait de la pédagogie auprès des jeunes autour du dessin satirique, il faut les rassurer. Il ne faut pas qu'ils en aient peur. Qu'on aime ou pas ce qu'il dit, il ne faut pas le rejeter.
W.Baxter--TNT