Affaire Théo: trois accusés dans un procès érigé en symbole des violences policières
Un coup de matraque télescopique "enseigné à l'école". Le gardien de la paix Marc-Antoine Castelain a assuré mardi avoir usé de la force "légitime" pour interpeller Théo Luhaka, gravement blessé à l'anus, au premier jour de son procès devant la cour d'assises de Seine-Saint-Denis.
Presque sept ans après les faits, le jeune homme noir, âgé de 28 ans, garde des séquelles irréversibles.
"J'ai utilisé un coup qui est à l’origine de cette blessure qui m'a été enseigné à l'école, un coup légitime", s'est justifié M. Castelain, en introduction des débats.
"J'ai conscience que c'est une blessure grave. Je souhaiterais renouveler ma profonde compassion", a ajouté le fonctionnaire de police de 34 ans.
A quelques mètres, Théodore Luhaka, chaudement vêtu d'une doudoune bleue, écoute attentivement le principal accusé, poursuivi pour des violences volontaires ayant entraîné une "infirmité permanente", avec les circonstances aggravantes de sa qualité de personne dépositaire de l'autorité publique, avec arme et en réunion.
Il encourt jusqu'à 15 ans de prison.
Les deux autres sur le banc des accusés: Jérémie Dulin, 42 ans, et Tony Hochart, 31 ans, sont aussi jugés pour violences volontaires avec circonstances aggravantes.
De nombreux fonctionnaires de police en civil ont fait le déplacement pour soutenir leurs collègues dans une salle d'audience bondée.
Le 2 février 2017, peu avant 17H00, un équipage de quatre fonctionnaires de la BST (brigade spécialisée de terrain) d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) décide d'effectuer un contrôle sur un groupe de jeunes dans la cité des 3.000. La vérification des identités va rapidement dégénérer.
Et c'est la vidéosurveillance qui va faire basculer l'affaire et provoquer l'émoi jusqu'au sommet de l'Etat. Le président François Hollande ira rendre visite à Théo Luhaka pendant sa convalescence à l'hôpital.
L'interpellation du jeune homme, alors âgé de 22 ans, est captée par les caméras de la ville et les images sont partagées sur les réseaux sociaux.
Alors qu'il est dos au mur et pris en étau par Jérémie Dulin et Marc-Antoine Castelain, ce dernier porte un violent coup avec la pointe de son bâton télescopique de défense (BTD) à travers le caleçon du jeune homme, qui s'effondre. Le coup provoque une rupture de son sphincter.
- "Sentiment de honte" -
Interpellé et emmené au commissariat d'Aulnay-sous-Bois pour être placé en garde à vue, Théo Luhaka présente un important saignement au niveau des fesses et va être transporté par les secours à l'hôpital où il va subir une intervention chirurgicale en urgence.
L'enjeu du procès sera d'établir s'il y a eu ou non un usage proportionné de la force.
Un collège d'experts indiquait que "le geste d'estoc effectué par le policier utilisateur était conforme aux pratiques professionnelles enseignées".
"Mon client a effectué un geste enseigné en école et qualifié de légitime par plusieurs experts pendant l'enquête, pour aider deux de ses collègues en difficulté face à un jeune homme robuste qui se rebellait et qu'il n'a jamais eu l'intention de blesser", a commenté auprès de l'AFP Me Thibault de Montbrial, avocat de M. Castelain.
Une enquête de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a conclu à "un usage disproportionné de la force".
Dans son rapport, la "police des polices" établit également que "les deux violents coups d'estoc du BTD" sont portés à un moment où "Théo Luhaka ne commet pas d'atteinte envers l'intégrité physique des policiers interpellateurs".
Depuis sa grave blessure, il vit avec un "sentiment de honte", confie un proche.
Sur le banc de la partie civile, Théo Luhaka est entouré de sa famille.
La cheffe des députés LFI Mathilde Panot a apporté mardi matin, au nom de son groupe politique, "soutien" et "affection à Théo et ses proches".
"Les violences qui ont occasionné un tel préjudice ne peuvent recevoir aucune justification. L'enjeu du procès: dire et juger que les termes violences et policiers ne sont pas et ne seront jamais conciliables", estime son avocat, Me Antoine Vey.
Le juge d'instruction, l'enquête de l'IGPN et les investigations indépendantes du Défenseur des droits vont aussi mettre en exergue des tirs de gaz lacrymogène, ainsi que des coups de genou et de poing portés par les gardiens de la paix Dulin et Hochart quand la victime était menottée au sol.
Sur le plan administratif, d'éventuelles sanctions disciplinaires seront prononcées "à l'issue de l'instance judiciaire", indique la préfecture de police. Les trois policiers sont toujours en activité.
Le procès doit durer dix jours. Le verdict est attendu le 19 janvier.
S.Ross--TNT